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La Déraison du Louvre
JEAN-MICHEL FRODON, CAHIERS DU CINÉMA, AVRIL 2006 :
Le songe de la lumière -
Il faut trois éléments figuratifs à Ange Leccia pour lancer l’histoire de son film. Un élément immobile, la beauté immense et froide d’une grande œuvre antique (La Victoire de Samothrace), deux éléments mobiles: la beauté palpitante, à taille humaine, d’une jeune femme face à la statue de pierre (Laetitia Casta) et un rayon lumineux qui balaie doucement la scène et s’évanouit. Tout dans cette somnambulique visite au Louvre, se joue à trois : le musée, la muse, le réalisateur. La splendeur plastique des plans est incontestable, elle menace d’abord de se prendre au piège d’une imagerie, proximité de la femme comme modèle (pour les peintres) et top modèle (pour la mode), joliesse des rêves publicitaires, comme toujours au service du pouvoir. Quel pouvoir? Celui de l’artiste, qu’on soupçonne de prétendre, par la force de son regard, fondre en une matière unique la chair de la femme et la pâte des tableaux. Vêtue de blanc, anti-Belphégor, l’actrice hante les salles du musée pour une étrange magie, s’approche de plus en plus des toiles, tandis que le filmage infiniment délicat de la peau du visage, de la grâce des mouvements, cherche un devenir commun à ce qui fait chef-d’œuvre sur les murs du Louvre et à l’humanité de la femme. Il y a de l’incantation dans les mouvements de la comédienne comme dans la musique de Frédéric Sanchez, une tentative de transmutation dans les surimpressions des corps peints et du corps filmé. Cela ne sera pas.
Sous le signe ambivalent de la lumière, qui fait tout apparaître et fait tout disparaître, le film dépasse le point limite où le visage de la comédienne vient toucher la surface du tableau. Deux fois bord cadre — à la frontière du tableau, à la limite de l’image filmée — Laetitia Casta ne se fondra pas dans l’image peinte. Le jeu est libre alors, entre la nature assumée comme différente de cette beauté-ci et de cette beauté-là, le triangle que constituent la peinture, le cinéma et la femme vivante devient espace ouvert, « l’histoire » annoncée au début est celle d’une aventure rêvée, jusqu’à l’évanouissement, ou sortie du songe, de la fin.
Aussi si différents soient les hommes, leurs œuvres, et en ce cas leur point de départ, Alain Cavalier (lire ci-contre,) et Ange Leccia arrivent au même parcours, celui d’aller défier au plus près la contiguïté de l’œuvre et du vivant, mais pour ouvrir et s’approprier un espace impossible à supprimer, et où chacun peut habiter et se comprendre.
Genre
Fiction
Copyright
2006
Durée
15 minutes
Producteur(s)
François Bertrand, Caméra Lucida Productions ; avec le soutien et la participation du Musée du Louvre
Sélections / Récompenses
Prix à la qualité du court métrage du Centre national de la cinématographie, 2007 ; Sélection Festival international du court métrage de Vila do Conde (Portugal), 2006
Distribution commerciale
Camera Lucida Productions
La Déraison du Louvre invite le spectateur à une déambulation nocturne dans les galeries du musée, une fois le bruit de la foule dissipé, lorsque les tableaux retrouvent leur intimité. En errant silencieusement parmi les toiles, une jeune femme (Laetitia Casta) se laisse envahir par la présence irrésistible des figures représentées qui s’animent et finit par perdre pied. Le court métrage d’Ange Leccia évoque une secrète obsession pour la peinture qui se déploie dans des jeux de regards et s’imprime à même le corps. En dehors de toute narration traditionnelle, il cherche avant tout à rendre compte de la relation charnelle entre la visiteuse clandestine et les personnages picturaux. Ces derniers sont l’expression d’un monde intérieur qui surgit à la faveur d’une lumière fantasmatique. À la lisière de l’abstraction, le film parvient à capter le tremblement fugace propre aux émotions. Dans ce contexte vibratile, la musique – composée par Frédéric Sanchez – entre en résonance avec les images. Il s’agit d’ondes ciselantes qui apparaissent pour mieux fuir et ainsi travailler à la perte des repères spatiaux. Car le motif central de cette œuvre est le vertige. Face à la sensualité de cette rencontre, il est alors inutile de résister. La Déraison du Louvre traduit l’état d’abandon que la peinture peut encore provoquer, à l’écart des sollicitations culturelles et de la passivité touristique. Et ce n’est pas un hasard si parmi les toiles revisitées, on reconnaît Le Sommeil d’Endymion (1791) d’Anne-Louis Girodet ou Suzanne au bain (1839) de Théodore Chassériau. Elles sont les indices d’une sensibilité romantique se prolongeant pleinement dans cette création contemporaine, véritable hommage à la beauté chaude et enivrante qui – toujours – palpite.